La peur du nucléaire est-elle justifiée ?
Pour la majorité d’entre nous, le nucléaire évoque une liste d’événements particulièrement obscurs. Entre l’accident de Tchernobyl et le bombardement d’Hiroshima, le nucléaire aura en effet marqué l’histoire d’une bien sombre manière. Cette peur du nucléaire pourrait pourtant se révéler très dangereuse pour l’environnement.
Ndlr : Cette étude s’appuie sur les recherches de plusieurs environnementalistes, favorables ou non à l’énergie nucléaire. L’objet de l’article n’est ni de défendre ni de dénoncer le nucléaire. Il s’agit de dresser un constat énergétique mondial afin de tenter de mieux comprendre les enjeux de l’utilisation du nucléaire et d’ouvrir quelques perspectives quant au futur de l’énergie.
La limite actuelle des énergies renouvelables
Nous sommes en train de vivre une véritable révolution énergétique. Grâce à des investisseurs de mieux en mieux impliqués, le prix des énergies renouvelables a considérablement baissé au cours de ces dernières années. Le renouvelable est à la mode, et c’est la preuve que la conscience environnementale globale évolue.
L’Allemagne réussit parfois à obtenir plus de la moitié de son électricité grâce à l’énergie solaire, l’Inde s’est engagée à construire 10 fois plus de panneaux solaires d’ici 2022. Le problème du réchauffement climatique va-t-il donc être bien plus facile à résoudre que ce que l’on pensait ?
La production d’énergies propres (hydroélectrique, nucléaire*, éolien et solaire) a largement augmenté ces 20 dernières années. Cependant le pourcentage de l’électricité mondiale issue des énergies propres a diminué, passant ainsi en 20 ans de 36 % à 31 %. L’objectif ultime de la lutte contre le réchauffement climatique étant bien-sûr d’atteindre un taux de 100 % d’électricité provenant de sources propres. Ces 5 % d’électricité représentent tout de même l’équivalent de 60 centrales nucléaires, soit 900 fermes solaires.
*par soucis de clarté nous considérerons dans cet article le nucléaire comme une énergie propre bien que cette appellation soit évidemment source de controverse. Nous reviendrons sur ce point par la suite
Cette baisse s’explique par le fait que l’utilisation des énergies fossiles augmente encore plus vite que celle des énergies propres. D’une part, faute d’alternatives, la première source d’énergie de la plupart des pays pauvres reste le bois ou le charbon. De l’autre, l’utilisation du nucléaire a diminué de plus de 7 % au cours de ces 10 dernières années. Le solaire et l’éolien ont de leur côté fortement augmenté, mais cela n’est pas suffisant pour satisfaire au manque engendré par la baisse du nucléaire. En effet, lorsque l’on additionne le solaire et l’éolien, seule la moitié de la baisse du nucléaire est comblée. Au cours des dernières années, 4 centrales nucléaires furent prématurément fermées aux Etats-Unis et compensées par des énergies fossiles. La perte d’électricité provenant d’énergie propre fut presque équivalente au total de l’électricité issue de l’énergie solaire générée par les Etats-Unis en 1 an.
L’Allemagne produit énormément d’énergies renouvelables, pourtant les émissions de gaz à effet de serre du pays n’ont cessé d’augmenter depuis 2009. La raison à cela est simple : le solaire et l’éolien ne fournissent de l’énergie qu’entre 10 % et 20 % du temps. La demande en électricité ne s’arrête pas lorsque le soleil cesse de briller ou que le vent s’arrête de souffler. Même si de nettes améliorations ont été apportées aux batteries (qui stockent les énergies renouvelables) ces derniers temps, elles ne seront probablement jamais aussi efficaces que le réseau électrique.
Environ 30 % de l’énergie est perdue lorsque vous utilisez de l’électricité stockée dans une batterie. Ainsi lorsque nous rentrons chez nous le soir et que nous allumons notre télévision, notre chauffage ou nos divers appareils au même moment où les panneaux solaires cessent de fonctionner, nous avons besoin de bien plus d’énergie. Ce manque est compensé par l’utilisation d’importantes quantités de gaz naturel fossile stocké dans de gigantesques réserves souterraines.
En décembre 2015 une fuite de méthane fut déclarée dans la réserve californienne d’Aliso Canyon. L’impact environnemental de cet accident fut comparable à celui des émissions de 500.000 véhicules roulant au diesel. De plus, d’autres pays comme l’Inde ne disposent même pas du recours que représente ce gaz naturel.
Tant que nos habitudes en matière d’utilisation de l’énergie n’auront pas profondément changé, les possibilités du soleil de briller, de la pluie de tomber et du vent de souffler ne seront pas suffisantes pour assurer l’apport en énergie dont nous avons besoin. Si nous voulons garder nos lumières allumées, nous avons besoin d’une solution qui fonctionnera tout le temps. Le nucléaire est-il cette solution ?
Mieux comprendre l’énergie nucléaire
« Ce qu’on dit du climat, c’est que c’est ceux qui en savent le plus qui sont les plus inquiets. Avec le nucléaire, ceux qui en savent le plus sont les moins inquiets » s’amuse Stewart Brand, écrivain américain initiateur du mouvement écologique des années 60-70.
Lorsque l’on pense au nucléaire, les premières choses qui nous viennent à l’esprit sont les accidents de Fukushima et de Tchernobyl, ayant eu lieu respectivement le 11 mars 2011 et le 26 avril 1986. En effet, pour plusieurs raisons, le nucléaire fait peur. Cette énergie présente pourtant des avantages extrêmement intéressants.
Le nucléaire, une énergie propre ?
Tout d’abord, il convient de s’intéresser à l’empreinte carbone du nucléaire. Ainsi, la contenance en carbone des combustibles les plus répandus est la suivante : pour 1 kilowattheure (kWh) produit, le charbon émet 820 grammes de CO2. Le gaz naturel en émet 490 g, le solaire en émet 48 g et l’hydroélectricité en émet 24 g. Le nucléaire quant à lui n’en émet que 12 g soit autant que l’éolien. De plus le nucléaire possède l’avantage de produire de l’énergie 92 % du temps au cours d’une année.
Mais cela n’empêche pas les gens d’en avoir peur. Seuls 28 % des Européens sont favorables à l’utilisation du nucléaire, contre 80 % pour l’éolien et le solaire. Même le pétrole est plus populaire, atteignant les 31 % d’opinion favorable. Cela s’explique par 3 points importants : la sécurité des usines en elles-mêmes ne rassure pas, les déchets produits non plus, et l’association entre le nucléaire et les armes est trop importante dans l’esprit des gens. Cette peur du nucléaire, qu’elle soit justifiée ou non, provoque la fermeture de centrales partout dans le monde. Nous risquons de perdre 4 fois plus d’énergie propre que ce que nous avons déjà perdu au cours des 10 dernières années. Nous sommes donc dans une situation de crise de l’énergie propre. Ainsi l’enjeu serait, par la résolution des problèmes d’ordre technique, d’atténuer la peur des gens.
Il est difficile de rendre le nucléaire plus sûr. En effet, le journal anglais Lancet nous rapporte que le nucléaire est la source d’énergie fiable la moins dangereuse. Pour 1 térawattheure produit, la pollution engendrée par l’exploitation du charbon provoque la mort de 28 personnes. Ce chiffre est de 17 morts pour le pétrole, 3 morts pour le gaz naturel et quasiment 0 pour le nucléaire. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, les accidents de Fukushima et Tchernobyl seraient uniquement dus à la panique provoquée par la peur des hommes travaillant dans les centrales. Ainsi la majorité des soucis ne seraient pas dus au dérèglement de certaines machines.
Concernant les déchets, ceux-ci sont extraits en faibles quantités, mais restent radioactifs des centaines de milliers d’années. De plus ils sont très dangereux pour l’homme à cause du haut niveau de radioactivité qu’ils présentent. C’est pourquoi ils sont traités et stockés derrière des barrières de confinement, évitant ainsi tout risque de contamination. Ce problème de gestion des déchets nucléaires est à la racine de la controverse qualifiant ou non le nucléaire d’énergie propre. Certes le nucléaire ne participe pas directement au réchauffement climatique, celui-ci n’émettant quasiment pas de gaz à effet de serre. Cependant peut-on réellement considérer une énergie engendrant l’accumulation de milliers de mètres cubes de déchets radioactifs pendant des centaines de milliers d’années comme propre ?
A propos des armes nucléaires, il est important de souligner le fait que le seul moyen de les démanteler est d’utiliser les ogives de plutonium comme carburant pour les centrales. Ainsi la création de nouvelles centrales favoriserait le désarmement nucléaire plutôt que l’inverse.
Il faut cependant rester conscient de la propagande opérée par l’industrie du nucléaire
Nous pourrions penser alors que le nucléaire est la solution parfaite à la crise de l’énergie et qu’il serait absurde de vouloir son retrait. Il existe pourtant une face cachée du nucléaire nettement moins positive.
D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, la catastrophe de Tchernobyl n’est responsable de la mort que d’une trentaine de personnes et favorisa l’apparition d’environ 4000 cancers de la thyroïde. Ce nombre de victimes, qui semble relativement léger, est à prendre avec des pincettes. En effet, un accord entre l’OMS et l’Agence Internationale de l’Energie Atomique fut passé en 1959. Celui-ci, sujet à de nombreuses controverses, empêche la publication d’études quant aux conséquences de la radioactivité sur la santé. Plusieurs chercheurs indépendants ont cherché à prouver les séquelles réelles de la plus grave catastrophe nucléaire du XXème siècle. Au final, on recenserait des millions de malades et des dizaines de milliers de morts au cours des 20 dernières années. Le tableau serait donc bien plus noir que prévu. Il faut aussi ajouter que les centrales nucléaires sont, à cause de leur conception, très menacées par les conséquences directes du réchauffement climatique telle que la montée des eaux.
Une croyance populaire établirait que le nucléaire est le seul moyen pour la France de devenir indépendante énergétiquement. Or cette vision des choses est biaisée, puisque l’uranium nécessaire aux réacteurs doit être importé du Kazakhstan ou de la Namibie. De plus le retrait du nucléaire ne serait pas forcément négatif pour l’emploi. En effet, il y a en Europe 5 fois plus d’emplois dans les énergies renouvelables que dans le nucléaire. Enfin, mettre un terme à l’exploitation des centrales pourrait générer des postes dans la surveillance et dans le démantèlement des anciens réacteurs.
Les déchets constitueraient finalement un véritable problème. Pour pallier à la toxicité du plutonium extrait des centrales, les hommes n’ont d’autres choix que d’enfouir ces déchets en grande profondeur. Ceux-ci, qui resteront radioactifs plus de 100.000 ans, présentent un véritable risque de pollution de la nappe phréatique. Si nous construisons plus de centrales nucléaires, tous les déchets engendrés impliqueront des centaines de trains et camions se déplaçant pour isoler ces déchets de l’homme. Il y a donc un risque que ceux-ci soient déversés dans la nature en cas d’accident ou d’attaque terroriste.
Vers un nucléaire « vert » ?
Pour beaucoup, les risques du réchauffement climatique sont plus importants que les risques d’incidents nucléaires. Nous sommes face à une véritable crise de l’énergie, une course contre la montre. Certes le nucléaire, aussi puissant soit-il, présente de nombreux inconvénients. Mais les énergies renouvelables, et ce tant que les limites imposées par les batteries seront aussi restrictives, sont encore loin de pouvoir subvenir au besoin énergétique de la planète.
Il est important de se rappeler que le retrait total du nucléaire passe par une exploitation plus intense de l’énergie fossile. En plus de grandement favoriser le réchauffement climatique, les gaz à effet de serre rejetés par les énergies fossiles sont responsables de la mort de presque 3 millions de personnes par an dans le monde. La pollution de l’air est donc bien plus meurtrière que les nuages radioactifs libérés lors de potentiels accidents nucléaires.
De nombreux scientifiques, convaincus de la nécessité du nucléaire mais aussi bien conscients des lacunes de sa forme actuelle, travaillent ainsi depuis plus de 40 ans sur une nouvelle forme de nucléaire. Plus sûr, plus puissant, plus vert, le thorium semble incarner le futur de l’énergie.
Cette petite sphère de métal à droite contient assez d’énergie pour subvenir à l’ensemble des besoins énergétiques d’un Européen pendant sa vie entière. Vous l’aurez compris, le potentiel de ce combustible nucléaire semble titanesque. Malheureusement nous n’aurons pas de réacteur au thorium avant 2040, la peur du nucléaire freinant les investissements.
Pourtant le thorium répond aux 3 grands inconvénients du nucléaire dans sa forme actuelle : la sécurité, la gestion des déchets et l’armement.
Les attentes sécuritaires sont-elles respectées ?
Les centrales actuelles à eau pressurisée présentent une pression 160 fois supérieure à lapression atmosphérique. Les centrales à thorium, quant à elles, tournent à la pression atmosphérique. En cas de rupture, aucun gaz radioactif n’est expulsé à l’extérieur. L’exploitation du thorium se fait par des réacteurs nucléaires à sels fondus. Or les sels fondus sont des éléments neutres qui ne réagissent ni avec l’air et ni avec l’eau, les risques s’accidents s’en voient ainsi largement amoindris.
Lorsque la température du cœur de Tchernobyl montait au-delà d’un certain niveau, la quantité de réactions nucléaires augmentait. Ce cercle vicieux fut à l’origine de l’accident de Tchernobyl. Les systèmes au thorium font précisément l’inverse : plus la température monte, moins il y a de réactions. Les systèmes sont auto stabilisés.
Qu’en est-il des déchets ?
L’approche du réacteur au thorium produit moins de déchets. De plus, lorsque l’on utilise le thorium la partie « longue vie » des déchets n’est pas fabriquée. Une fois sortie du réacteur, 83 % du volume des déchets sont neutralisés en 10 ans. Il faut ensuite 300 ans aux 17 % restants pour se décomposer. Certes c’est encore conséquent, mais comparé aux centaines de milliers d’années nécessaires aux déchets radioactifs plus classiques c’est une avancée considérable. Il est aussi important de souligner le fait que les déchets nucléaires actuels peuvent être intégrés au cœur des réacteurs au thorium et être utilisés en tant que carburant.
Et de l’armement nucléaire ?
Dans le contexte de Guerre Froide des années 70, les centrales au thorium ne remplissaient pas les conditions imposées par les militaires : celles-ci ne pouvaient pas fabriquer le plutonium utilisé dans la fabrication des bombes nucléaires. Ce qui à l’époque fut un défaut qui stoppa la recherche est donc aujourd’hui une incontestable qualité dans un contexte de course au désarmement nucléaire.
Enfin, le thorium a la flexibilité qui lui permet de travailler en parfait tandem avec les sources d’énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire. Son exploitation et son développement ne vont donc pas en contre-courant de l’utilisation des énergies durables.
Oui, la peur du nucléaire dans sa forme actuelle est justifiée. Mais nous vivons aujourd’hui une crise énergétiqueet des solutions doivent-être trouvées. Certes, le thorium semble représenter le futur du nucléaire vert et être la solution idéale pour combler le manque des énergies renouvelables sans passer par les énergies fossiles. Pourtant l’exploitation de cette énergie, aussi formidable soit-elle, passe à côté d’un point fondamental : elle encourage les hommes à produire plus, mais pas à consommer moins. A-t-on réellement besoin d’autant d’énergie ? Il a été prouvé que si nous divisions par 2 notre consommation d’énergie, notre niveau de vie ne changerait en rien. Une potentielle interdiction de se chauffer à l’électrique, une isolation des bâtiments, un changement en profondeur des habitudes du quotidien… Grâce aux économies d’énergie, la solution au réchauffement climatique est peut-être bien plus simple que ce que l’on croit.